Ralphson Pierre

Éducation spécialisée, Psychopédagogie, Psychopathologie

dimanche 18 mars 2012

Réflexion sur la psychiatrie Haitienne

Par: Roger MALARY
Psychiatre, directeur de l’hôpital psychiatrique Défilée de Beudet, Port-au-Prince.


Ne voyez-vous pas déjà unmalaise du côté haïtien avec ce colloque ?
Est-il normal que dans un pays de 8 millions d’habitants, au
décompte du nombre de psychiatres ou de personnel en santé mentale
en Haïti, il n’y ait que ce nombre de personnes qui assistent à cette
conférence en Haïti 1. Déjà c’est un des malaises de notre psychiatrie.
Il faut savoir que la pratique de la psychiatrie, que ce soit chez nous,
que ce soit en Amérique, que ce soit dans les pays occidentalisés,
s’inscrit dans la pratique de la médecine. En ce sens, elle obéit au
modèle qui veut que ce soit un élément essentiel pour parvenir à la formulation
des symptômes, qu’ils soient nosographiques, nosologiques à
l’évolution des pronostics et à l’élaboration des éléments thérapeutiques
pour parvenir à soigner quelqu’un qui est malade.
Cela suppose la reconnaissance de la réalité de la souffrance humaine,
du désarroi, et de la détresse morale du malade qui se présente
à nous, de même que celle des parents qui dans bien des cas sont leur
porte-parole. Tout ceci englobe une perspective d’ordre général de la
psychiatrie puisqu’il n’existe pas une psychiatrie européenne, une
psychiatrie canadienne, et même une psychiatrie haïtienne. Même si
cette spécialité de la médecine est très riche en diversité, cette richesse
contribue également à sa fragilité. Et cette fragilité se fait encore plus
sentir chez nous.

Les spécificités de notre psychiatrie proviendraient du fait que l’on
considère « l’homme dans son environnement ». Le vécu personnel,
subjectif s’harmonise très bien avec l’idée que l’homme dans son environnement
peut y trouver des éléments négatifs pour le rendre malade.
Le binôme, l’articulation de ce binôme « sujet et environnement »
constitue un élément essentiel comme spécificité, si on veut parler de
spécificité haïtienne. De même peuvent intervenir d’autres sujets,
d’autres facteurs sur le plan affectif, sur le plan biologique, sur le plan
culturel.
Voilà que l’on peut faire ce que l’on veut dans cette spécialité
médicale en l’absence d’une politique de santé. Quelle est la limite du
psychiatre ? Quelle est la limite du hongan ? Quelle est la limite du
prêtre et du vaudou ? Et quelle est la limite de la médecine traditionnelle
? L’État n’arrive pas à mettre les points sur les i pour déterminer
les limites, pour déterminer la loi et les principes. La porte est
ouverte à l’injustice. Car comme disait Martin Luther-King « là où il n’y
a pas de justice, il n’y a pas de loi ». Alors les malades font à leur guise,
les médecins font à leur guise, les hougan font à leur guise.Vivons-nous
donc dans un pays organisé ? Je crois que non. Nous ne devons pas être
ainsi. La psychiatrie haïtienne est aussi une fille de la médecine.
En matière de pratique institutionnelle, nous avons tenté une
médecine d’abord communautaire, et ensuite une médecine où l’on
voulait que la thérapie occupationnelle occupe la pensée des malades
pour éviter l’oisiveté. Comme disait Jean-Charles Pascal « l’oisiveté
constitue l’une des bases, l’un des éléments capable de conduire aux
différentes pathologies mentales ». Dans un pays où il y a une raréfaction
de l’emploi, où il y a des problèmes de pauvreté de toutes sortes,
dont une pauvreté existentielle, il fallait faire quelque chose pour la
psychiatrie. Comme disait notre ami Frantz Raphaël, nous ne devrons
plus utiliser des médicaments qui sont sur la voie de disparition. Pour
cela, nous avons eu l’aide et la contribution, ô combien appréciable, du
GIFRIC2 de la ville de Québec. Monsieur Apollon, psychanalyste au
même organisme, nous a beaucoup aidés à établir un programme à
l’hôpital de Défilée de Beudet.
Grâce à ce programme, nous arrivions non pas à guérir, mais à
soigner, à rendre fonctionnels beaucoup de malades par le travail, en les
aidant à ne pas ruminer leurs pensées négatives. Nous avions établi un
programme agricole auquel les malades participaient à leur guise, et
2. Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d’intervention clinique et
culturelle.

touchaient une rémunération pour avoir un sentiment de valorisation.
Les espaces agrestes étaient utilisés au bénéfice non seulement des
malades intérieurs qui n’avaient plus besoin d’aide extérieure, mais le
blé, la farine étaient de l’extérieur. Les malades arrivaient à leur satisfaction
à manger à partir des produits cultivés à l’hôpital même. Nous
avions un poulailler, nous avions des pondeuses. À un certain moment
de l’embargo, l’hôpital Défilée de Beudet était devenue la seule
institution auto-suffisante. Le directeur-général du ministère de la
Santé publique a eu recours à notre service pour lui donner de l’alimentation
car le ministère ne pouvait plus nourrir les malades qui se
trouvaient à l’hôpital général. Dans une camionnette de transport, les
malades étaient réellement joyeux de se rendre eux-mêmes à l’hôpital
général pour apporter les vivres alimentaires.
Malheureusement, des problèmes d’irrigation survinrent et l’immigration
cessa, les gens du GIFRIC ne pouvant plus entrer en Haïti à
cause des problèmes de violence. Le découragement s’en suivit et le
projet tomba à l’eau. Il faut dire que l’État lui-même a contribué à
l’abandon de ce projet. J’en donnerai l’exemple le plus récent. En 2003,
lors du jour de la fête nationale de la santé mentale, le 10 octobre, le
président Aristide a réuni les principaux membres qui travaillent dans
le secteur de la santé mentale. Chacun avait droit à la parole. Parce qu’il
était psychologue, je pensais qu’il était animé de bonnes intentions.
Quand il est arrivé à moi, je lui ai dit ouvertement en présence de mes
confrères Dr Bijoux, Dr Desrosiers et notre consoeur Jeanne Philippe et
tant d’autres, dont les plus jeunes, ceci : « Président, tous nos terrains
sur qui on travaillait ont étémalheureusement occupés par lesmembres
que l’on appelle “chimères”. Ils ont pris toutes nos terres. Il vous revient,
Président, de prendre les mesures nécessaires pour qu’on puisse continuer
ce programme et arriver à donner à manger, non seulement aux
maladesmais aussi aux employés dans le cadre d’une politique sociale. »
On ne se contentait pas uniquement de l’agricole, de l’aspect
culture agricole. On avait également un autobus qui nous avait été
donné. Je conduisais mes malades dans les différents lieux de loisirs afin
de procéder à une sorte de désinstitutionalisation de nos malades en
dehors desmurs. Les résultats étaient payants.On discontinuait certains
médicaments psychotropes parce que la journée avait désamorcé
l’angoisse existentielle. Cela a pu renforcer le moi. De savoir et d’arriver
à une désinstitutionalisation capable de conduire l’individu à une
valorisation personnelle de son égo, cela a été également payant.
Maintenant nous sommes tombé presque à zéro, pour ne pas dire à
zéro.

En conclusion, en Haïti, la tâche est difficile pour tout le personnel,
pour tout un chacun qui oeuvre dans le domaine de la santé mentale. Si
le névrosé peut dire « je vais construire des châteaux dans les nuages » et
le psychotique de répondre « c’est très bien, moi je vais y vivre », nous,
les psychiatres en Haïti, les professionnels en santé mentale, nous ne
pouvons pas dire comme les autres que nous allons toucher les loyers
puisqu’on est en train de gérer la précarité sur toute la ligne.
Pour moi, si je devais identifier un problème majeur au partenariat
Haïti-Québec-Canada, il tiendrait en trois éléments. Le premier est une
éducation générale, même au niveau de la santé publique. Les hommes
qui nous dirigent n’ont aucune formation, aucune idée en ce qui
concerne la santé mentale. Le deuxième est encore l’éducation, l’éducation
du peuple qui doit passer par l’instruction. Et le troisième
élément est encore l’éducation de tous les haïtiens.

Roger MALARY,
Psychiatre, directeur de l’hôpital psychiatrique Défilée de Beudet, Port-au-Prince.

Cf: * La conférence a été remaniée par nos soins pour en faire un texte écrit.
 Environ une vingtaine de participants ont assisté au colloque à l’AUF de Port-au-
Prince. Le colloque avait lieu en vidéoconférence.

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